Le rêve brisé d'un Lorrain de Château-Salins

   Malgré la fatigue augmentée par l’accablante chaleur des jours précédents, les longues marches avec les épaules meurtries par le lourd havresac, et les pieds enflés dans les pesants godillots, les nuits passées à la belle étoile, harcelées par l’angoisse de la guerre et d’irritants moustiques, sans oublier les accrochages sérieux avec l’ennemi, le moral des soldats est excellent.

Mais au matin du 20 août 1914, dans la verdure du paysage comme à l’orée des blés d’or, les symboliques pantalons rouges allaient devenir des cibles de mort. Les premiers coups de canon nous apprennent que la bataille pour s’emparer des hauteurs de Morhange est engagée. Un combat de géants  dont nous étions loin d’imaginer l’horreur. Les Français se défendant héroïquement contre des ennemis en surnombre, et doté d’une puissante artillerie : l’incendie de l’église et du village martyr de Dalhain ; les habitants, fusillés où emmenés en otages, tandis que des blessés français sont achevés à coups de crosse de fusil par un ennemi dont la haine ne respecte pas même la soutane d’un prêtre, froidement abattu.

   Le reflux des convois dessille nos yeux, bientôt embués à la vue des premiers blessés. C’est toute l’image hideuse de la guerre que celle de ce pioupiou à la mâchoire sanglante et qui, pour se faire comprendre griffonne fébrilement quelques lignes sur son carnet; car les blessés essayent de regagner Nancy, au moyen des voitures hippomobiles.

   Dans les maisons, les Lorrains accueillent encore fraternellement les rescapés de la bataille, racontant leurs misères, la mort  de leurs camarades tombés à côté d’eux. Ces soldats reprennent des forces pour continuer leur repli, pendant que les collines de la vallée de la Seille répercutent l’écho du vaillant canon, les batteries de 75 qui protègent la retraite…

(Extrait de : « Ma Lorraine au tragique destin. »)